La situation sur Calais et plus généralement sur le littoral nord de la Manche est épouvantable. Les tentatives de franchissement de la Manche se multiplient et de nombreuses voix s’élèvent pour laisser les Britanniques gérer cette situation. Je ne crois pas du tout qu’il soit dans l’intérêt de notre pays de remettre en cause les accords du Touquet (2004), outre le fait que nous parlons d’hommes et de femmes et non d’objets! Je souhaiterais partager avec vous, mon expérience de mission à Calais et plus généralement du travail que je peux mener sur les questions migratoires.
Est-ce que la France assure ou non ses obligations humanitaires à Calais ?
Je réponds affirmativement et conteste le discours porté par les associations humanitaires. Les associations humanitaires font valoir que les forces de police harcèlent les migrants pour les obliger à se déplacer en permanence et qu’elles s’opposent par ailleurs au ravitaillement par les mêmes associations des migrants.
Tout ceci est exact à 2 ou 3 différences essentielles. Il y a une unanimité, me semble-t-il, de tous les responsables politiques pour ne pas accepter la reconstitution de la « jungle », c’est-à-dire de grands camps en lisière de Calais où des milliers de personnes se sont entassées avec comme seules lois, les lois des communautés et bien entendu des passeurs.
Ceci conduit à éviter effectivement des installations permanentes avec des regroupements communautaires d’où effectivement l’action régulière des forces de police pour faire partir les migrants. Par contre des modalités de mise à l’abri sont systématiquement proposées et à l’heure présente les migrants peuvent chaque soir rejoindre un hébergement temporaire sous des tentes placées dans d’anciens dépôts avec des lits individuels, la possibilité d’accéder à des cabines de douche, la mise à disposition d’accès téléphoniques etc… J’ai pu visiter ces abris temporaires qui sont certes sommaires mais qui répondent à l’objectif.
Renoncer à transférer le soir les migrants, par des rotations de bus, dans ces abris temporaires reviendrait encore une fois à accepter la reconstitution de ce que plus personne ne veut voir à savoir à savoir la « jungle » démantelée sous la présidence de Monsieur Hollande non sans difficulté à l’initiative du Ministre de l’Intérieur de l’époque Monsieur Cazeneuve.
En ce qui concerne le ravitaillement, le fait de vouloir fournir des repas de la part des associations humanitaires directement dans les campements revient à la question évoquée ci-dessus à savoir de favoriser le principe même de camps permanents.
Les pouvoirs publics fournissent des repas aux migrants mais ils sont chaque soir amenés dans un centre de distribution par une rotation de bus.
Chaque personne, chaque famille, a accès à des repas chauds sur la base d’une distribution organisée mais effectivement pas sur un campement. Les choses sont faites dignement.
Pourquoi les migrants présents sur le littoral de la Manche veulent absolument rejoindre le Royaume-Uni ?
Plusieurs raisons à cela. La première raison est la présence de communautés très diversifiées au Royaume-Uni de telle manière que les migrants Soudanais, Érythréens, Irakiens, Afghans … ont très souvent des membres de la famille déjà présents.
La deuxième raison est liée à la possibilité d’exercer un métier au Royaume-Uni là où il n’y aurait pas la possibilité de le faire en France. Il s’avère, semble-t-il, assez facile de travailler de manière clandestine soit dans des ateliers textiles clandestins dans les Midlands ou dans le domaine de la construction.
Enfin il y a une différence fondamentale entre la France et le Royaume-Uni : en France, pour toutes démarches, les documents d’identité seront demandés. Au Royaume-Uni, grâce à un régime très ancien dit d’habeas corpus, la police ou les services administratifs n’ont pas la possibilité de demander le justificatif de l’identité. Cette identité ne peut être exigée que s’il y a commission d’une infraction. Pour dire les choses plus simplement, il est possible de vivre de manière clandestine au Royaume-Uni d’où un vif intérêt ….
Est-ce qu’il existe une solution alternative au franchissement sauvage de la Manche ?
Un point ne changera jamais, c’est la géographie. Le détroit du Pas-de-Calais est le point le plus étroit entre le continent Européen et le Royaume-Uni. Durablement, les migrants auront vocation à tenter leur chance au niveau du littoral nord de notre pays plutôt que de passer par la Belgique ou les Pays-Bas.
L’ampleur des contrôles mis en place progressivement sur toutes les installations fixes , en particulier au niveau du tunnel sous la Manche et du port de Calais, font que les franchissements en empruntant le transmanche ne sont plus possibles d’où les milliers de tentatives de passage par bateau. La question posée par la France au Royaume-Uni est celle de l’organisation d’une voie légale permettant d’accéder au territoire britannique.
C’est la demande des autorités françaises auprès de nos voisins britanniques consistant, si l’on veut lutter contre les voies illégales, à avoir au minimum une voie légale.
À titre de comparaison, et cela peut paraître stupéfiant au regard des règles internationales, le Royaume-Uni n’examine pratiquement pas de demandes d’asile. Notre pays examine annuellement environ 140 000 demandes d’asile là où le Royaume-Uni n’en examine que 30 000.
Chacun le sait : avec le Brexit, la frontière extérieure de l’Union Européenne se trouve côté français sur le littoral de la Manche. Il est très fréquent de lire dans la presse que dans ces conditions il suffirait de laisser les Britanniques « se débrouiller » du sujet et gérer leurs frontières plutôt que vouloir gérer la frontière côté français.
Au-delà de ce jeu de « mistigri funèbre » entre les deux pays, la rupture des accords du Touquet conduirait à une situation encore plus compliquée pour notre pays. Il est évident que s’il n’y a plus de contrôle côté français , cela revient à dire aux migrants : « venez tous sur le littoral de la Manche, vous pouvez passer … et après vous verrez bien avec les Britanniques ». Ce serait un gigantesque appel d’air avec une concentration des phénomènes migratoires sur Calais d’où chacun organiserait son passage. Loin de diminuer les courants migratoires, nous les favoriserions.
Conclusion provisoire
Même si les Anglais ne sont pas très contents des Français et si nous Français, reprenant un exercice pluriséculaire , sommes particulièrement agacés par les Anglais, nous n’en avons pas moins à gérer en commun une frontière qui est devenue la frontière extérieure de l’Union Européenne. Et nos deux pays sont les plus proches.
Nous devons durablement gérer des courants migratoires vers le Royaume-Uni qui passeront par Calais. Il n’y a pas d’autre solution pour nos deux pays que de trouver un mode de régulation conjoint. Je reconnais que cela fait beaucoup de sujets de conflits avec les Britanniques avec les conséquences du Brexit, le sujet de la pêche, et bien entendu le volet migratoire.