Comment concilier compétitivité de l’agriculture européenne et augmentation des exigences environnementales sur le plan agricole ? C’était la problématique de la conférence débat organisée par les Chambres d’agriculture ont organisé le 20 octobre dernier en présence du Ministre de l’Agriculture Julien Denormandie et du Secrétaire d’État auprès du Ministre des Affaires étrangères Clément Beaune. Au menu du débat, la question prégnante des clauses miroirs qui sera un sujet au centre de la Présidence française du Conseil au premier semestre 2022, mais aussi la lutte contre la déforestation importée et le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières.
Le Green Deal rebat en effet les cartes de la politique commerciale agricole européenne. Des ambitions environnementales élevées (neutralité carbone d’ici 2050, réduction de 50% de l’utilisation d’engrais, 25% des terres agricoles en bio d’ici à 2030, amélioration du bien-être animal), pourraient bien conduire l’agriculture européenne à perdre de sa compétitivité sur les marchés extérieurs. Et ce, d’autant plus que l’UE s’efforce de négocier des accords de libre-échange bilatéraux depuis de nombreuses années.
Ce que défendra la France en matière agricole lors de la Présidence française de l’UE
La France prendra la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne le 1er janvier 2022. Treize ans après sa dernière présidence, Paris exercera de nouveau la fonction pour six mois. Cette institution qui réunit les ministres des États membres par domaine d’activité est, avec le Parlement européen, le co-législateur de l’UE.
Du 1er janvier au 30 juin 2022, la France devra donc s’acquitter de plusieurs missions. Elle sera, entre autres choses, chargée d’organiser et de présider l’ensemble des réunions du Conseil de l’UE, par domaine d’activité. Chaque ministre français assurera cette fonction au sein du groupe de travail dont il est membre. Par exemple, le ministre de l’Agriculture français présidera le Conseil agriculture.
Julien Denormandie et Clément Beaune ont donc annoncé les priorités pour la France en matière agricole lors de cette conférence :
- La lutte contre le dumping au sein du marché commun et l’harmonisation des conditions de production entre Etats-membres ;
- L’opposition au Mercosur ;
- La prise en compte ferme des règles édictées au niveau européen et national dans les politiques commerciales et accords de libre-échange avec les clauses miroirs, notamment sur le sujet des antibiotiques pour l’élevage ;
- La reconnaissance des origines, via la révision du règlement INCO ;
- Le momentum politique : rassembler les autres Etats membres autour de cette vision et des objectifs ;
- La lutte contre la déforestation importée ;
- Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, conçu comme un instrument de justice commerciale et écologique.
Les clauses miroirs, entre opportunités et risques
Actuellement, les produits alimentaires importés dans l’Union européenne ne respectent pas toujours les mêmes normes que celles appliquées dans l’UE, souvent plus contraignantes. La question d’un règlement européen sur les importations pour introduire des mesures-miroirs, ou clauses-miroir se pose donc.
Pour la député européenne Marie-Pierre Vedrenne, la présidence française de l’UE constitue une opportunité pour porter le sujet. Si la question des clauses miroirs n’a pas abouti dans le cadre des négociations de la PAC, elle doit faire l’objet d’un rapport de la commission européenne d’ici juin 2022 au plus tard. « Au sein des commissions Agriculture ou Environnement du Parlement européen, il existe un consensus sur de telles mesures. Ce qui pourrait aboutir à un soutien important. Cela montre qu’une partie du parlement peut être acquise aux clauses miroirs. Le nouveau gouvernement allemand sera aussi décisif. « Et de poursuivre : « La stratégie de la ferme à la fourchette votée cette semaine en session plénière comporte aussi la réciprocité des normes dans le commerce international. »
Même si les clauses miroirs ont déjà été mises en œuvre avec succès pour les domaines relatifs à la protection de la santé humaine (exemple des antibiotiques ou des hormones de croissance), leur application aux produits agricoles risque de poser plusieurs problèmes majeurs.
Tout d’abord, elles impliquent une forme d’ingérence de l’UE en matière de souveraineté alimentaire et de réglementation des autres pays, puisqu’il s’agit d’imposer des normes qui correspondent à des choix sociétaux.
Ensuite, en cas d’application étendue des clauses miroirs, l’UE s’exposerait à des mesures de rétorsion qui peuvent s’appliquer à la fois sur le secteur agricole, et limiter notre capacité à exporter sur les marchés qui nous sont favorables, mais également sur d’autres secteurs. « Réviser les normes sanitaires internationales sera difficile. Dans le cadre de l’OMC, des membres de l’organisation avanceraient que les clauses miroirs discrimineraient les autres pays. L’UE est déjà prise à partie pour l’interdiction de certaines substances. Ces mesures sont estimées trop strictes par nos partenaires. Les négociations sont complexes. Nous sommes sur une bataille des normes. L’UE ne peut pas imposer des mesures unilatéralement. Quelles contreparties aux clauses miroirs dans un accord ?, » a interrogé Marie-Pierre Devienne.
Enfin, la question du contrôle des normes se pose. Vérifier l’application de ces normes impliquerait des contrôles au sein des exploitations ou des abattoirs des autres pays, qui ne disposent pas des mêmes outils de traçabilité.
« Il faut que les clauses miroirs soient inscrites dans les accords internationaux. Mais il faut se donner les moyens d’aller vérifier sur place ce qu’il se passe. L’Europe doit se donner les moyens de monter une agence européenne pour effectuer ces contrôles« , a interrogé Jean-Baptiste Moreau, Député de la Creuse, membre de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, rapporteur de la loi EGALIM