Depuis 2018, suite aux Etats généraux de l’alimentation, quatre lois concernant les relations commerciales autour des produits de grande consommation ont été examinées et promulguées.
L’objectif était d’assurer une plus juste rémunération des agriculteurs en confortant la construction du prix « en avant » ; c’est-à-dire du producteur, en passant par le transformateur puis le distributeur.
Rapidement, des pratiques de contournements (pénalités logistiques, plans d’affaires…) ont été mises au jour et ont suscité de nouvelles dispositions cadres.
Ces dernières années, la plupart des grandes enseignes de Distribution ont ouvert des centrales d’achat à l’étranger, pour conclure des contrats d’approvisionnement avec des industriels et fournisseurs ; ce qui est tout à fait leur droit en matière de libre circulation des biens, des services et des établissements dans le cadre du marché unique européen.
Mais au fil des négociations, on a pu observer que la multiplication des centrales d’achat localisées à l’étranger s’accompagnait de pratiques plus préoccupantes : en clair, elles seraient devenues le support de pratiques commerciales dont l’intérêt pour les Distributeurs va bien au-delà du groupement d’achat…
Elles leur permettraient de s’affranchir du cadre des négociations défini par les Lois Egalim et d’imposer des contraintes, parfois abusives pour les fournisseurs français, au regard du droit français. Sont par exemples rapportées la facturation de services de coopération commerciale, une réduction des références en rayon au profit des MDD ou l’obligation de rejoindre une centrale d’achat européenne sous contrat étranger avec menace de déréférencement.
Les principaux distributeurs ont développé des alliances avec des centrales d’achat basées à l’étranger : E. Leclerc avec Eurelec (siège en Belgique), Carrefour avec Eureca (siège en Espagne), Intermarché et Casino avec Global Retail Services (après Agecor et ITM), Système U avec Everest et Epic.
Il n’existe pas de chiffres publics ou officiels sur la part des achats que font les distributeurs français hors du territoire national mais aux dires des industriels leur importance grandit.
Certains y auraient recours, alors même qu’ils font plus de 95% de leur chiffre d’affaires en France, ce qui laisse peu d’ambiguïté sur les motifs de ces délocalisations d’achats !
En ce sens, l’article 1er de la Loi Descrozaille, en 2023, est venue préciser que tout contrat visant des produits commercialisés sur le sol français doit se voir appliquer le cadre français des négociations commerciales et les sanctions qu’il prévoit.
Depuis 2019, le ministre de l’Economie a assigné la centrale internationale Eurelec à hauteur de 117 M pour non-respect des dispositions du droit du commerce français.
Mais, suite à l’arrêt du 22 décembre 2022 de la CJUE sur Eurelec, la mobilisation de la DGCCRF et du ministre de l’Economie s’est affaiblie. Cela s’est traduit par une dégradation de la situation et « l’alignement » des enseignes françaises sur les mauvaises pratiques d’Eurelec afin de rester compétitives par rapport à Leclerc.
Pourtant, l’arrêt de la CJUE n’empêche pas le ministère de l’Economie de poursuivre son action en matière de police du commerce. La CJUE ne s’est pas prononcée sur la compétence du juge français dans l’absolu mais seulement sur la fondement de sa compétence sur le règlement Bruxelles 1 bis.
En pratique, rien n’interdit le Ministre d’assigner devant le juge français, des sociétés de droit étranger en s’ appuyant sur les règles internes de compétences, étendues aux situations internationales ou d’autres bases juridiques.
Eurelec respecte-t-il aujourd’hui le droit français (Egalim) ? Combien de contrôles ont été menés sur ces sujets en 2023 par la DGCCRF ?
Lorsque le ministre de l’économie explique que les contrôles vont être impitoyables vis-à-vis des distributeurs, il ne parle que des contrôles contrôles franco-français. Pour moi le sujet n’est plus que très à la marge sur le côté franco-français. Il concerne les pratiques qui passent maintenant par les centrales d’achat de nos distributeurs situées hors de France. Il semble flotter aujourd’hui un sentiment général d’impunité du côté des enseignes et des centrales d’achat à cet égard. Nous avons l’obligation de contre-attaquer soit probablement devant les juridictions françaises mais également dans le cadre d’une coopération européenne puisque la difficulté concerne notre pays mais touche aussi d’autres pays.
Si la loi européenne n’empêche aucunement les alliances européennes de distributeurs, la liberté de la concurrence, des dérogations sont parfaitement reconnues par le traité lorsqu’il s’agit de protéger la rémunération des agriculteurs.
Ce n’est donc pas un combat perdu … à condition de le mener.
Je ne prétends pas être spécialiste de tout, mais que je raisonne pour la pérennité des entreprises françaises de l’agro alimentaire ou pour la rémunération de nos agriculteurs et au-delà de la rémunération sur le sens de leur métier, nous avons là un sujet important à traiter qui ne figure pas dans les annonces du Premier ministre.