Mayotte se trouve dans une situation extrêmement préoccupante. L’insécurité et l’augmentation de la violence depuis quelques années sur l’île rend le quotidien des Mahorais insupportable. A la suite d’un déplacement en septembre dernier et d’une série d’auditions conduites depuis Paris, les sénateurs ont formulé seize recommandations. Portant sur les forces de l’ordre, l’autorité judiciaire, la situation migratoire et l’association des collectivités territoriales, ces propositions ont vocation à nourrir la réflexion autour d’un futur projet de loi dit
« Mayotte » annoncé par le Gouvernement.
Un contexte migratoire exceptionnel
Mayotte est avant tout soumise à un contexte migratoire exceptionnel et structurellement problématique. Cette situation migratoire nourrit une démographie mahoraise jeune et nombreuse.
Les femmes nées à l’étranger, notamment aux Comores, dont la fécondité est nettement supérieure à celle des femmes mahoraises, portent ainsi un solde naturel annuel systématiquement positif, oscillant depuis 2015 entre 8 000 et 9 000 individus.
La densité démographique mahoraise est en conséquence l’une des plus importantes de France et sa population l’une des plus jeunes : la moitié de la population a moins de 18 ans, et trois Mahorais sur dix ont moins de 10 ans.
Le développement économique du territoire mahorais demeure à ce jour insuffisant pour offrir des perspectives d’avenir suffisantes à cette population jeune et nombreuse. Le marché du travail n’offre pas un emploi à tous les actifs mahorais et s’avère incapable d’absorber les arrivées de nouveaux actifs sur le marché.
Une violence juvénile en augmentation
Nombreuse, jeune et trop souvent livrée à elle-même faute d’opportunités économiques ou de prise en charge par les services publics compétents, une certaine partie de la population résidant à Mayotte contribue ainsi à alimenter une situation sécuritaire préoccupante. Malgré une sous-évaluation structurelle, qui s’explique notamment par une méfiance envers les forces de l’ordre et la propension à régler des conflits hors de l’institution judiciaire, Mayotte a connu depuis 2008 une augmentation de la délinquance enregistrée sans commune mesure avec celle de sa population.
La situation mahoraise apparait particulièrement problématique s’agissant de trois catégories de faits de délinquance, dont la prévalence est supérieure à Mayotte que dans l’hexagone ou d’autres territoires ultramarins : les homicides, les coups et blessures volontaires hors cadre familial et les vols commis avec violence.
La délinquance à Mayotte est ainsi qualifiée par les forces de l’ordre et les acteurs judiciaires de juvénile – les faits étant nettement plus souvent commis par des mineurs que dans l’hexagone ou dans d’autres territoires ultramarins – et brutale.
Répondre à l’urgence sécuritaire
Las d’attendre, en vain, une réponse des pouvoirs publics à la hauteur des enjeux posés par la situation sécuritaire, des Mahorais se sont constitués, à la suite du mouvement social du printemps 2018, en groupes d’auto-défense visant à prévenir les actes de délinquance. « Le développement de ces initiatives, qui contribuent à saper la légitimité et à complexifier les interventions des forces de l’ordre, doit donc être maitrisé », notent les rapporteurs.
Le rapport préconise d’octroyer aux forces de l’ordre les moyens de leurs missions, de manière urgente.
Soumises dans l’exercice de leurs missions à des violences récurrentes, les forces de l’ordre connaissent à Mayotte une organisation spécifique, destinée à répondre aux enjeux sécuritaires posés par le territoire. Les sénateurs proposent d’engager une réflexion sur d’éventuelles améliorations de l’organisation des forces de gendarmerie sur le territoire, notamment s’agissant de l’affectation à résidence sur Grande Terre d’officiers de commandement, actuellement stationnés à Pamandzi, afin d’éviter tout risque de rupture de la chaîne de commandement dans la conduite d’opérations.
Les forces de l’ordre pourraient plus généralement bénéficier de moyens accrus. S’agissant de la gendarmerie, la création d’un peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG), affecté au sud de Grande Terre, pourrait faciliter les interventions de nuit dans cette zone.
S’agissant de la police nationale, les pistes d’amélioration sont de deux ordres. En premier lieu, un état des lieux des moyens faisant défaut aux forces de l’ordre doit établir l’opportunité de la création d’un commissariat à Koungou, zone urbaine particulièrement sujette à des violences urbaines ainsi que de la création de fourrières pour animaux et voitures.
En second lieu, il apparaît urgent de renforcer l’attractivité des affectations de fonctionnaires de police à Mayotte, en prenant en considération les spécificités de la situation mahoraise. La diminution de la durée des affectations à Mayotte ou l’augmentation du nombre de Mahorais parmi les effectifs stationnés à Mayotte pourraient ainsi être envisagées.
Renforcer l’action de l’autorité judiciaire
L’autorité de l’institution judiciaire à Mayotte doit également être renforcée.
En amont du prononcé de la peine, les sénateurs considèrent que la juridiction doit disposer de moyens accrus sur le plan humain, par le renforcement des équipes du parquet et la création de cabinets de juge des enfants et de juge d’instruction supplémentaires, comme sur le plan matériel, par la relocalisation du tribunal judiciaire en centre-ville de Mamoudzou, dans un bâtiment conçu pour les besoins d’une juridiction. La création d’une cour d’appel de plein exercice à Mamoudzou permettrait, outre la montée en puissance de la cour d’assises, d’envoyer un symbole fort restaurant l’autorité de l’institution judiciaire.
En aval du prononcé de la peine, la surpopulation carcérale du centre pénitentiaire de Majicavo fait courir à terme le risque d’une inhibition de la réponse pénale. Il apparaît à cet égard nécessaire de faire droit à la demande de la création d’un centre de détention au sud de Grande Terre. Par ailleurs, l’autorité judiciaire ne dispose pas à Mayotte de moyens suffisants pour l’aménagement de peines, ce qui nourrit la surpopulation du centre de Majicavo.
Il convient d’en ouvrir les possibilités, notamment en créant un centre de semi-liberté ainsi qu’un
centre éducatif fermé.
Apporter une réponse pérenne à des défis structurels: limiter le droit du sol
Les défis structurels que rencontre la société mahoraise constituent un contexte propice à l’insécurité, à commencer par la situation migratoire extraordinaire à laquelle est confrontée Mayotte.
En 2018, la loi « Asile et immigration », a modifié le droit du sol et exige désormais, pour qu’un enfant né à Mayotte puisse bénéficier de la nationalité française à sa majorité, que l’un de ses parents au moins réside en France de manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois.
Dans leur rapport, les sénateurs ont estimé que cette durée de trois mois n’était pas suffisante et souhaite l’allonger. « Une durée rallongée à un an permettrait néanmoins de mieux encadrer le phénomène des allers et retours, souvent risqués, de certaines femmes comoriennes vers Mayotte afin de pouvoir faire bénéficier leur enfant de l’octroi de la nationalité française. » Cette mesure avait déjà été proposée par le Ministre de l’Intérieur cet été.
La mission d’information souhaite aussi approfondir les relations diplomatiques avec l’Union des Comores pour limiter l’immigration irrégulière.
Enfin, les sénateurs plaident pour un accompagnement des collectivités territoriales à la hauteur de leur engagement dans la lutte contre l’insécurité est également nécessaire. La poursuite, avec le concours de l’État, des efforts engagés par celles-ci dans l’amélioration de l’éclairage public, du recensement, ou encore de l’aide sociale à l’enfance constitue l’une des clés pour la réussite de la lutte contre une délinquance.