Le Sénat a intentionnellement voté contre sa propre proposition de loi de ratification afin de protester sur le fond et sur la forme contre la réforme de la haute fonction publique portée par le Gouvernement. Une stratégie transpartisane unique en son genre pour contraindre le Gouvernement à prendre en compte l’opinion du Parlement.
Historique
La loi de transformation de la fonction publique d’août 2019 habilitait le gouvernement à réformer la haute fonction publique par ordonnance.
Sur ce fondement, a été adoptée l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État. Cette ordonnance concrétise l’annonce-phare par le Président de la République de la suppression de l’École nationale d’administration (ENA) et du système dit des « grands corps ».
Ce texte, dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2022 pour la majorité de ses dispositions, modifie profondément les conditions d’accès à la haute fonction publique et l’engage dans une généralisation de la fonctionnalisation des postes d’encadrement supérieur de l’État.
Il était donc attendu que le gouvernement soumette ensuite un projet de loi de ratification de l’ordonnance en question au Parlement. En l’occurrence, un projet de loi de ratification a été déposé à l’Assemblée nationale dans le délai imparti de 3 mois à compter de la publication de l’ordonnance. Mais toute la subtilité tient au fait que rien n’indique que le Gouvernement inscrira ce texte à l’ordre du jour du Parlement.
Interrogée au Sénat lors de son audition par la commission des lois le 26 mai 2021, puis lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 2 juin 2021, la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Mme Amélie de Montchalin, n’a jamais formulé d’engagement du Gouvernement en ce sens.
Or, si l’article 38 de la Constitution impose, à peine de caducité d’une ordonnance, le dépôt d’un projet de loi de ratification dans le délai qui doit être fixé par la loi d’habilitation, il ne rend pas pour autant obligatoire l’examen de ce projet de loi par le Parlement.
Une procédure inédite pour s’ériger contre « le mépris et la dépossession du Parlement »
« Le Gouvernement ne s’est pas engagé à faire examiner par le Parlement la ratification de cette ordonnance qui modifie pourtant en profondeur le fonctionnement de la haute fonction publique de l’État », peut-on lire dans l’exposé des motifs de la proposition de loi de ratification.
« Nous n’en pouvons plus de la dépossession du Parlement », clament Sénateurs de tous les bancs. Prenant acte de cette situation, ils ont donc travaillé de manière transpartisane pour déposer une proposition de loi de ratification « avec comme objectif de voter contre ».
La crainte de la suppression du corps préfectoral et de l’ENA
Fondée en partie sur les préconisations du rapport « Thiriez » remis au premier ministre le 18 février 2020, la réforme de la haute fonction publique portée par l’exécutif vise en particulier à rénover en profondeur l’approche par l’État des « ressources humaines » que constituent ses hauts fonctionnaires.
Pour cela, l’ordonnance du 2 juin 2021 introduit une stratégie pluriannuelle de l’État relative au pilotage des ressources humaines de l’encadrement supérieur, de nouveaux modes d’évaluation, et un accompagnement plus poussé des agents en transition professionnelle.
La pierre angulaire de la réforme reste cependant l’instauration de l’Institut National du Service Public (INSP), qui prend le relai – ainsi que les locaux – de la défunte École Nationale d’Administration (ENA). L’INSP sera chargé de la formation initiale du corps interministériel des administrateurs de l’État, qui a vocation à se substituer à un certain nombre des corps actuels de sortie de l’ENA. Certains de ceux-ci, tels que les corps d’inspection générale, ont a priori vocation à être mis en extinction, tandis que d’autres seront directement intégrés dans le nouveau corps interministériel. Le corollaire de ce remaniement de la structuration des corps supérieurs d’encadrement de l’État est une volonté de décloisonnement, de mobilité accrue entre les postes. Le mode de fonctionnement des « grands corps » est également révisé, les emplois des inspections générales (IGF, IGAS, IGA) étant fonctionnalisés.
Le Conseil d’Etat invite le Conseil constitutionnel à se prononcer sur deux dispositions de la réforme de la haute fonction publique
Le Conseil constitutionnel va examiner deux questions prioritaires de constitutionnalité transmises par le Conseil d’État et portant sur deux dispositions de la réforme de la haute fonction publique.
Parmi les mesures concernées : la question de l’indépendance des inspections générales de l’État et les nouvelles modalités de recrutement des magistrats des juridictions administratives et financières.
Dès lors qu’il sera formellement saisi de ces QPC, le Conseil constitutionnel disposera de trois mois pour les examiner et se prononcer. Une décision n’est pas à attendre avant janvier 2022, compte tenu des QPC déjà audiencées et des examens a priori prévus d’ici la fin de l’année, notamment sur le PLF et le PLFSS.