Mi-juillet, contre toute attente et après neuf heures de débats acharnés, députés et sénateurs sont finalement parvenus à un accord dans le cadre de la commission mixte paritaire sur le projet de loi Climat et résilience. Quels compromis les parlementaires ont-ils actés sur ce texte qui contient désormais plus de 300 articles?
Les acquis du Sénat
Les compromis passés avec les députés ont ainsi permis à la chambre haute de préserver de très nombreux apports adoptés en première lecture : sur les 377 articles examinés par la CMP, 29 % ont été élaborés sur la base du texte sénatorial et 42 % ont fait l’objet d’une rédaction de compromis. 103 des 311 articles finalement adoptés sont issus d’articles additionnels adoptés au Sénat.
Symbole de l’empreinte laissée par les sénateurs sur ce texte : l’article préliminaire du projet de loi, inscrivant en droit français le nouvel objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre, fruit d’un travail transpartisan du Sénat, a été conservé, malgré les réticences initiales du Gouvernement.
Parmi les mesures votées par les sénateurs et présentées comme « des avancées » : ont été conservées, par exemple les certificats verts en faveur du biogaz, les initiatives en faveur du développement de l’hydroélectricité, de l’hydrogène renouvelable et bas-carbone, du biogaz ou du photovoltaïque, la régulation de la publicité notamment sur les véhicules les plus polluants, la lutte contre l’éco-blanchiment, l’intégration de considérations sociales dans le droit de la commande publique, le verdissement des transports par la création du prêt à taux zéro (PT-Z) pour les véhicules légers qui circulent en zones à faibles émissions, par l’inscription de l’objectif de doublement de la part du fret ferroviaire, ou encore par le renforcement des possibilités de cumul du forfait mobilités durables (FMD), le renforcement de l’ambition du texte en matière de rénovations performantes des logements avec pour les ménages les plus modestes un « reste à charge minimal ».
Le Sénat a aussi réussi à l’emporter sur des sujets aussi importants que la mise en place de mesures d’accompagnement pour les agriculteurs via le plan Eco’Azot, la reconnaissance de l’objectif de souveraineté alimentaire et des produits locaux et des circuits courts dans l’approvisionnement des cantines, le développement du vrac, la lutte contre la déforestation importée en lien avec le devoir de vigilance des grandes entreprises.
Ces apports, nombreux, ont permis de rehausser l’ambition du projet de loi, de garantir l’effectivité des dispositions votées, d’avancer sur le chemin d’une réconciliation des transitions écologique et économique, dans un souci de justice sociale et de mieux prendre en compte nos collectivités territoriales.
Récapitulatif des principales mesures adoptées :
CONSOMMATION
– Éducation au développement durable, du primaire jusqu’au lycée : un comité dédié dans chaque établissement programmera des activités de sensibilisation à l’environnement, pour renforcer les projets des éco-délégués et les sorties découvertes en pleine nature, par exemple.
– Interdiction de la publicité en faveur des énergies fossiles (gaz…) à partir du second semestre 2022 et, à l’horizon 2028 de la publicité pour les véhicules les plus polluants (qui émettent plus de 123 grammes de dioxyde de carbone par km), pour préparer le consommateur à la fin de leur mise sur le marché deux ans après.
– Augmentation des pouvoirs des maires pour la réglementation des espaces publicitaires, notamment sur les écrans dans les vitrines (taille, espace alloué, horaires d’utilisation…), via le règlement local de publicité.
– Expérimentation pendant 36 mois du dispositif « Oui pub » dans les collectivités territoriales volontaires : seuls les foyers ayant affiché sur leur boîte aux lettres cette étiquette recevront des imprimés.
– Objectif de 20% de la surface de vente consacrée d’ici 2030 à la vente en vrac dans les grandes et moyennes surfaces (commerces de plus de 400 m2) pour diminuer les déchets de plastiques.
– Interdiction des emballages alimentaires à usage unique en polystyrène à compter de 2025.
– Possibilité de développer la consigne pour réutiliser les bouteilles en verre, si le bilan environnemental de la mesure est meilleur qu’avec le recyclage. Les parlementaires ont toutefois limité la portée de cet article.
– Pour les fabricants de vélos, les tondeuses à gazon et autres engins de jardinage, obligation de fournir des pièces de rechange pour certains produits.
ÉCONOMIE/TRAVAIL
– Renforcer la prise en compte de l’environnement dans les commandes publiques. D’ici 5 ans au plus tard, tous les marchés publics devront intégrer une clause écologique, à l’aune de laquelle une offre pourra être jugée plus ou moins-disante par rapport à une offre concurrente, au-delà des seuls facteurs du prix et de la qualité jusqu’ici pris en compte. Il en sera de même pour les concessions, en dehors du secteur de la défense et de la sécurité. La loi prévoit également l’obligation de clauses liées au domaine social et à l’emploi, sous certaines conditions, pour les concessions d’une part et les marchés publics dont les montants sont supérieurs aux seuils européens d’autre part. Enfin, la loi renforce le contenu des schémas de promotion des achats publics socialement responsables (SPASER) que sont tenues d’adopter les plus grandes collectivités, en prévoyant la publication d’indicateurs, par exemple le taux de recours aux entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS).
– Autoriser l’État à réformer le code minier par ordonnance.
– Soutien aux énergies renouvelables : la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) devra définir formellement des objectifs de production d’énergies renouvelables par des communautés citoyennes ; l’obligation d’installation de photovoltaïque ou de toits végétalisés lors d’une construction, d’une extension ou d’une rénovation lourde sera étendue aux surfaces commerciales avec une baisse du seuil à 500 m² de création de surface ; cette obligation est aussi étendue aux immeubles de bureaux de plus de 1.000 m² et aux parkings de plus de 500 m2 ; les fournisseurs de gaz naturel devront obligatoirement intégrer une part de biogaz dans le gaz qu’ils commercialisent.
– Fin des chauffages sur les terrasses (à partir de mars 2022)
– TICPE : l’article fléchant une partie de la TICPE pour aider les collectivités à effectuer leur transition environnementale a été supprimé.)
TRANSPORTS
– Possibilité pour les régions volontaires d’instituer à partir de 2024 une écotaxe pour le transport routier de marchandises. Les sénateurs LR, plutôt hostiles à la mesure, ont précisé le dispositif pour qu’il vise des routes « susceptibles de supporter un report significatif de trafic » en raison d’écotaxes dans des territoires voisins, soit en priorité des régions transfrontalières comme l’Alsace.
– Suppression progressive de l’avantage fiscal dont bénéficie le transport de marchandises pour le gazole d’ici 2030, accompagnée d’un « soutien renforcé à la transition énergétique du secteur du transport routier ».
– Objectif de fin de la commercialisation des poids lourds neufs utilisant principalement des énergies fossiles (diesel ou essence classique) en 2040.
– Instauration obligatoire de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) limitant la circulation de certains véhicules d’ici le 31 décembre 2024 dans toutes les agglomérations métropolitaines de plus de 150.000 habitants, soit 33 nouvelles ZFE-m. Dans les 10 métropoles qui enregistrent des dépassements réguliers des valeurs limites de qualité de l’air, des interdictions de circulation pour les véhicules Crit’air 5 en 2023, Crit’air 4 en 2024 et Crit’Air 3 en 2025 seront automatiquement prévues. Les sénateurs ont rajouté un accompagnement grâce à l’expérimentation pendant deux ans, à partir de 2023, d’un prêt à taux zéro pour aider les ménages les plus modestes qui vivent dans des ZFE à acquérir un véhicule propre, en complément des aides (prime à la conversion, bonus écologique, etc.) déjà prévues.
– Durcissement des limites d’émissions des véhicules particuliers, avec des interdictions à la vente à partir de 2030 pour ceux émettant plus de 95 g CO2/km.
– Élargissement de la prime à la conversion – en cas de mise au rebut de véhicules polluants – à l’acquisition de vélos électriques.
– À partir de mars 2022, interdiction des vols aériens quand il existe une alternative en train par une liaison directe en moins de 2 heures 30 assurée plusieurs fois par jour (à l’exception des vols majoritairement empruntés par des passagers en correspondance vers une destination plus lointaine). Les correspondances train-avion dans les aéroports seront facilitées, comme les récents billets combinés proposés par la SNCF et Air France.
LOGEMENT
– Encadrement du loyer des logements « passoires thermiques » (classés F et G, soit près de 5 millions) : dès 2023, leurs propriétaires seront obligés de réaliser des travaux de rénovation énergétique s’ils souhaitent augmenter le loyer de leur logement en location. À partir de 2025 pour les « G » et de 2028 pour les « F », ces logements ne seront plus classés « logement décent » et seront donc interdits à la location. La mesure s’appliquera aux logements classés « E » en 2034.
– Accompagnement des ménages pour la rénovation énergétique de leur logement, et dispositif de garantie partielle pour faciliter l’accès au crédit de ménages modestes (pour les prêts « avance mutation ») en vue d’une rénovation.
– Division par deux d’ici 2030 de l’artificialisation des sols par rapport à la précédente décennie, pour « atteindre » en 2050 l’objectif de zéro artificialisation nette. Cette mesure sera appliquée par l’ensemble des collectivités territoriales. Pour rassurer les élus, les députés ont voté des délais leur laissant le temps de mettre à jour les documents d’urbanisme cinq et six ans après la promulgation de la loi.
– Interdiction, sauf dérogations, de la création ou de l’extension de grandes surfaces commerciales engendrant une artificialisation des sols. Aucune exception ne pourra être faite pour les surfaces de vente de plus de 10.000 m2 et les demandes de dérogation pour tous les projets d’une surface de vente supérieure à 3.000 m2 seront examinées par le préfet.
– Écosystèmes : inscription dans la loi de l’objectif de 30% d’aires protégées.
RESTAURATION COLLECTIVE
– Généralisation d’un menu végétarien hebdomadaire dans les cantines. (Les sénateurs proposaient de revenir à une expérimentation) et d’une option végétarienne tous les jours dans les cantines liées à l’État.
– Expérimentation dans les collectivités locales volontaires d’une option végétarienne quotidienne.
– Minimum de 60% de viande et poisson de « qualité » dans les cantines scolaires, à compter de 2024.
AGRICULTURE
Si les objectifs de réduction des émissions liées aux engrais agricoles azotés ne sont pas atteints, il est « envisagé de mettre en place une redevance ».
JUSTICE ENVIRONNEMENTALE
– Création d’un délit de mise en danger de l’environnement : le fait d’avoir exposé l’environnement à un risque de dégradation durable de la faune, de la flore ou de l’eau en violant une obligation de sécurité ou de prudence pourra être sanctionné de 3 ans de prison et 250.000 euros d’amende. Contrairement au délit général de pollution, les sanctions pourront s’appliquer si le comportement est dangereux et que la pollution n’a pas eu lieu.
– Délit général de pollution des milieux (flore, faune et qualité de l’air, du sol ou de l’eau) et délit d’écocide pour les cas les plus graves : les atteintes les plus graves commises intentionnellement à l’environnement seront passibles d’une peine maximale de 10 ans de prison et 4,5 millions d’euros d’amende (22,5 millions d’euros pour les personnes morales), voire une amende allant jusqu’à dix fois le bénéfice obtenu par l’auteur du dommage commis à l’environnement.
ENERGIE
Éolien : le droit de véto des maires, introduit par les sénateurs, est remplacé par un avis consultatif.
Réacteurs nucléaires : la fermeture d’un réacteur n’est plus conditionnée à la création d’une capacité équivalente de production d’énergies renouvelables. Cette mesure est remplacée par la mention de la nécessité de ne pas mettre en péril l’approvisionnement électrique de la France.
TVA sur les trains : le passage à la TVA réduite (5,5%) pour les billets de train a été supprimé.