Etat d’urgence sanitaire : « Nous glissons vers un affaissement de la démocratie »

Le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire a fait l’objet durant la procédure de navette, d’un désaccord profond et persistant entre, d’une part, un Sénat unanime ou quasi-unanime et l’Assemblée nationale. Réunie le 30 octobre pour examiner les dispositions restant en discussion, la commission mixte paritaire (CMP) a sans surprise échoué à parvenir à un accord.

L’échec de la CMP repose sur le fait que l’Assemblée nationale a refusé de donner au Parlement les moyens de contrôler l’exercice par le Gouvernement des pouvoirs exceptionnels.

Philippe bonnecarrere

Ces désaccords portaient essentiellement sur trois problématiques :

  • La durée des régimes d’exception, le Sénat et l’opposition de l’Assemblée rejetant les dates des 16 février et 1er avril que la majorité entendait fixer pour les termes de l’état d’urgence sanitaire et du régime transitoire. La majorité arguait que fixer une date antérieure revenait à empêcher le Gouvernement d’agir, là où le Sénat soutenait qu’il n’était pas acceptable d’accorder des pouvoirs exceptionnels pour une durée aussi anormalement longue, et que le régime transitoire constituait une anomalie juridique. Le Sénat avait donc ramené au 31 janvier 2021 le terme de l’état d’urgence sanitaire et supprimé la prolongation du régime transitoire de sortie afin que le Parlement puisse se prononcer au terme de trois mois d’application de l’état d’urgence sanitaire.
  • Le Sénat avait également souhaité que le Parlement autorise expressément le maintien, au-delà du 8 décembre prochain, de la mesure de confinement décidée par le Gouvernement le 29 octobre dernier. L’Assemblée nationale s’est néanmoins refusée à s’engager dans cette voie d’un contrôle parlementaire exigeant, pourtant essentiel dans une démocratie.

  • La mise en place d’assouplissements du confinement pour les petits commerces. Le Sénat avait proposé une rédaction permettant aux préfets d’ajuster les obligations de fermeture aux situations sanitaires locales, mesure catégoriquement rejetée par la majorité et le Gouvernement.
  • Les très nombreuses habilitations à légiférer par ordonnance prévues à l’article 4 du texte, que le Sénat avait en grande partie supprimées ou inscrites dans le « clair » de la loi. Ici aussi, la majorité et l’exécutif ont presque entièrement rejeté cette approche, au profit d’une habilitation « générale ».

Face à cette intransigeance, le Sénat a choisi de réaffirmer une position claire à l’égard des graves questions de contrôle parlementaire de l’exécutif et de rôle du Parlement dans la fabrique de la loi, en votant un texte identique à celui qui avait été le sien avant la CMP. Cela a abouti à l’adoption en lecture définitive d’un texte de l’Assemblée nationale ne reprenant que peu des préconisations du Sénat.

En première lecture, le Sénat avait accepté la prolongation de l’état d’urgence sanitaire au-delà du 16 novembre prochain, tout en veillant à ce que Parlement puisse encadrer les choix arrêtés par le Gouvernement dans le cadre d’un régime d’exception, par nature restrictif des libertés individuelles.

Je ne ferai pas le reproche au Président de la République de vouloir faire une mauvaise utilisation des cinq mois d’état d’urgence.

Mais nous nous mettons à accepter une situation d’affaissement de notre démocratie, qui dans une autre situation politique nous placerait dans une situation impossible.

Il ne faut pas commencer ce genre de précédent.

Philippe BOnnecarrère

Aperçu général du contenu de la loi

La loi telle qu’elle a été finalement adoptée et ensuite validée par la décision n°2020-808 DC du 13 novembre 2020 du Conseil constitutionnel reprend donc l’essentiel du texte voté en nouvelle lecture par les députés.

A ce titre, ses principales dispositions sont :

  • La prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 ;
  • La prorogation du régime transitoire de sortie de l’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021 ;
  • La prorogation du système d’information créé par la loi du 11 mai 2020 jusqu’au 1er avril 2021, et l’extension du champ des praticiens pouvant alimenter ce système ;
  • Une large habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance jusqu’au 16 février 2021, portant sur « toute mesure relevant du domaine de la loi en vue de prolonger ou de rétablir l’application des dispositions prises (…) par voie d’ordonnance (…) sur le fondement » de certaines dispositions des lois d’habilitation adoptées depuis le début de la crise sanitaire. En outre, cet article prévoit également une habilitation à prendre des mesures nouvelles relatives au fonctionnement et au financement des établissements de santé.
  • Un encadrement et le report des échéances des paiements loyers, factures de gaz, d’électricité ou d’eau des commerçants pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, et faisant obstacle à la résolution des contrats pendant cette durée (article 14).

Quels apports du Sénat ont été conservés ?

Certaines dispositions et ajustements proposés par le Sénat subsistent cependant dans le texte définitif. Il s’agit :

  • de la communication au Premier ministre et présidents des assemblées mais aussi de la publication sans délai des avis du conseil scientifique (article 3) ;
  • de l’extension à la Polynésie du dispositif d’amende en cas de non-respect du port du masque (article 4) ;
  • de l’ajustement aux circonstances des règles applicables aux réunions des organes délibérants des collectivités territoriales, en particulier au regard des présences dans les salles et de l’organisation en téléconférence (article 6) ;
  • de divers ajustements de circonstances applicables aux durées d’affectation des réservistes (article 9), aux juridictions prud’homales (article 11) ou encore aux durées des permissions militaires (article 16) ;
  • de l’ajout de l’encadrement des paiements des factures d’eau, d’électricité et de gaz au dispositif proposé par le Gouvernement pour les loyers à l’article 14 (voir b) ci-dessus) ;
  • de l’interdiction du placement en couvre-feu ou à l’isolement d’une victime de violences conjugales avec le conjoint violent (article 17).

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