Renforcement de la présence occidentale au Sahel

Emmanuel Macron a réuni lundi 13 janvier, à Pau, les dirigeants des pays du G5 Sahel, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Décidé après le décès de 13 militaires français en opération dans le Nord du Mali en novembre 2019, ce sommet initialement prévu le 16 décembre avait été repoussé suite à la perte, le 10 décembre, de 71 soldats nigériens dans l’attaque de leur caserne par des groupes djihadistes. Le conflit ne s’est pas apaisé depuis et la coalition connaît en son sein de vives tensions diplomatiques, couplées à un retournement des opinions nationales sur le bienfait de la présence française. Ce sommet a permis de réaffirmer l’engagement de toutes les parties engagées au Sahel, et d’acter des évolutions stratégiques dans la lutte contre le terrorisme.

Un contexte sécuritaire qui se dégrade

Jamais le bilan humain annuel dans les trois pays les plus exposés – Mali, Niger et Burkina Faso – n’a été aussi lourd qu’au cours de l’année écoulée. Le rapport du secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres détaillait ainsi que, entre janvier et novembre 2019, plus de 1 500 civils ont été tués au Burkina Faso et au Mali, et plus d’un million de personnes ont été déplacées à l’intérieur des cinq pays [du G5], soit plus du double qu’en 2018.

La « Zone des Trois Frontières » (Mali, Niger, Burkina) est particulièrement critique. Avant le décès des 13 militaires français dans cette zone, quarante-neuf soldats maliens y avaient été tués lors de l’assaut du 1er novembre contre la garnison située à Indelimane, au moins 38 autres un mois plus tôt à Boulikessi. Le 10 décembre, à Inates, ce sont 71 militaires nigériens qui ont été tués par les djihadistes. Le 9 janvier, soit 5 jours avant le sommet de Pau, l’attaque du camp militaire de Chinégodar a encore couté la vie à 89 soldats de l’armée nigérienne.

Preuve s’il en fallait de la dégradation de la situation ces derniers mois, la sous secrétaire générale de l’ONU pour l’Afrique, Bintou Keita, a indiqué, le 20 novembre, devant le Conseil de sécurité que, « depuis le début de l’année, le Burkina Faso a enregistré 489 incidents contre 150 à la même période en 2018, tandis que le Niger connaissait 118 attaques, contre 69 en 2018 ». Les forces françaises comme les armées locales semblent incapables d’enrayer l’aggravation rapide de la situation sécuritaire actuelle. Les groupes djihadistes ont montré qu’ils étaient à l’initiative, sans que le G5, contraint à être dans la réaction, ne puisse reprendre la main.
Les autorités sont particulièrement inquiètes à l’égard de l’expansion vers le Sud de la menace djihadiste. La situation au Burkina est en effet à ce point critique que ses frontières avec des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin sont désormais menacées, impliquant dans le conflit sahélien des pays jusqu’ici relativement épargnés. Signe de cette inquiétude, le Quai d’Orsay a d’ailleurs récemment classé « Rouge » (« formellement déconseillé ») le Nord-Est de la Côte d’Ivoire, le Nord du Togo et le Nord du Bénin, le long de leur frontière avec le Burkina Faso.

Une impression d’isolement de la France au Sahel

– Des doutes sur la fiabilité de nos alliés occidentaux
Fin décembre 2019, le New York Times a révélé que le ministre de la Défense des Etats-Unis souhaitait revoir le dispositif américain à travers le monde en se désengageant de ses missions de contreterrorisme pour mieux se focaliser sur ses deux priorités, la Chine et la Russie. Cela impacterait en premier lieu leur présence en Afrique, où les Etats-Unis comptent entre 6 000 et 7 000 soldats au Niger, au Tchad et au Mali, mais aussi à l’est du continent, en Somalie notamment.

Leur départ serait un coup dur pour la France, qui compte beaucoup sur le renseignement américain, le soutien logistique et le ravitaillement en vol, en plus de la capacité dissuasive de leur présence et l’efficacité de leur mission de formation.

Du côté des européens, l’Estonie et le Danemark sont les seuls pays à avoir envoyé des troupes sur le terrain au Mali. D’autres pays fournissant un effort logistique, comme le Royaume-Uni qui a envoyé des hélicoptères. Malgré ses déclarations de soutien, l’Allemagne persiste à refuser de s’engager activement sur le terrain. L’Union européenne est bien présente sur place à travers la mission EUTM, qui regroupe des personnels issus de 27 Etats-membres, mais son action se limite à la formation de l’armée malienne, sans participation active aux combats.

  • La présence française confrontée aux attentes de la population locale

En effet, la présence de l’armée française au Sahel – au Mali dans le cadre de l’opération Serval en 2013, puis depuis 2014 dans toute la région dans le cadre de l’opération Barkhane – connaît depuis plusieurs mois une érosion de sa popularité auprès des populations locales. En effet, la multiplication des attaques djihadistes contre les armées nationales mais aussi contre les populations locales mine la crédibilité du dispositif. Les accusations de néocolonialisme vont également bon train. Vendredi 9 janvier, un millier de Maliens ont ainsi manifesté à Bamako, la capitale, pour réclamer le départ des troupes étrangères, en particulier françaises.

Paris dénonce pour sa part un discours anti-français que certaines personnalités locales laisseraient croître, voire encourageraient en sous-main.

Le sommet de Pau : un rendez-vous crucial

La principale attente suscitée par cette rencontre était, côté français, une « clarification » de la part de ses partenaires africains, sous la forme d’une déclaration commune des cinq pays assumant clairement la présence militaire sur place.
Outre ce volet politique, le sommet de Pau visait à recadrer la stratégie militaire dans cette région désertique vaste comme l’Europe et à y relancer l’alliance antidjihadiste, notamment en tentant de mobiliser les alliés internationaux, au premier rang desquels les Européens. Signe de cette préoccupation, le Haut-représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères Josep Borrell et le président du Conseil européen Charles Michel étaient présents à Pau.

La déclaration conjointe dévoilée à l’issue de ce sommet renouvelle l’engagement de toutes les parties dans la lutte contre le terrorisme djihadiste. Les Chefs d’Etat du G5 Sahel ont en outre exprimé clairement leur souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel.

Le président Macron a par ailleurs annoncé l’envoi de 220 militaires français supplémentaires, en appui des 4500 déjà déployés dans les 5 pays du Sahel. Enfin, les dirigeants du G5 et leurs partenaires ont décidé de la mise sur pieds d’une nouvelle structure, la « Coalition pour le Sahel », dont le commandement sera assuré conjointement par la Force Barkhane et la Force conjointe du G5 Sahel afin de renforcer la coordination des acteurs et leurs capacités de renseignement. Cette Coalition rassemblera les pays du G5 Sahel, la France, ainsi que « tous les pays et organisations qui voudront y contribuer », formule visant tout particulièrement les pays européens.

Cette annonce vient compléter celle faite en novembre 2019 à propos de la création d’un futur groupement de forces spéciales européennes, baptisé « Task Force Takuba ». Celle-ci aurait pour principal objectif d’appuyer la montée en puissance des armées nationales du G5 Sahel, tout en soutenant les soldats de Barkhane sur le terrain. Si une douzaine de pays européens avaient répondu favorablement à la proposition de la France de participer à l’opération, pour le moment seules l’Estonie, la Belgique et la République Tchèque ont confirmé l’envoi de leurs forces spéciales. L’Allemagne, pour sa part, a refusé d’y participer.  

Pour avoir accompagné le 8ème RPIMa il y a trois ans sur le terrain au Tchad et au Niger, je mesure l’exceptionnelle difficulté de la tâche de nos militaires sur un terrain aussi vaste. Il est probable que notre pays devra concentrer son dispositif. 

En savoir plus sur Philippe Bonnecarrère, Député du Tarn

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