6 millions de Français vivent aujourd’hui dans un désert médical, quelles solutions le projet de loi apporte-t-il pour résoudre ces inégalités territoriales d’accès aux soins ?
Répondre à l’urgence de l’accès aux soins a été ma priorité en arrivant dans ce Ministère, pour anticiper le déclin démographique des médecins, qui perdurera encore pendant quelques années. Nous subissons l’effet des mesures prises dans les années 1980 qui visaient à réduire drastiquement le numerus clausus, avec un nombre insuffisant de médecins nouvellement formés. Il y a eu également une mauvaise anticipation de la transition démographique et épidémiologique d’une population française qui vieillit – et c’est une chance – mais est aussi davantage atteinte de maladies chroniques. Il nous faut aussi entendre le souhait de la jeune génération, et ce n’est pas spécifique aux seules professions de santé, de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Ils ont de fait un exercice différent de celui des médecins actuellement en fin de carrière.
En réalité, la situation est plus complexe. L’accès aux soins n’est pas uniquement déterminé par le nombre de professionnels dans un territoire, il est aussi lié au temps médical disponible, c’est-à-dire le temps que les professionnels passent devant les malades. Ainsi, un médecin qui passe du temps à des tâches administratives, c’est du temps médical en moins. Et n’oublions pas qu’il faut aussi prendre en compte les spécificités des territoires, notamment le nombre de personnes âgées qui requièrent davantage de soins.
Avec cette loi, nous proposons un vrai changement de paradigme avec deux axes : libérer du temps médical au médecin, d’une part, et libérer notre système de santé de ses cloisons d’autre part, avec plus de coopération et de coordination. L’objectif fixé par le Président de la République en septembre dernier est que l’exercice isolé devienne à terme l’exception. Avec cette ambition, nous répondons aux aspirations des futurs professionnels : ils ne sont que 3 % en sortie d’études à souhaiter s’installer seul dans un cabinet de ville, ce qui était la règle il y a quelques années.
Le Sénat a beaucoup débattu de mesures coercitives pour obliger les médecins à s’installer dans des zones sous-denses. Pourquoi considérez-vous ces mesures comme contre-productives ?
Ne nous leurrons pas, personne aujourd’hui n’a de recette miracle pour mettre fin aux déserts médicaux. Lors du G7 Santé organisé à Paris avec mes homologues, nous avons tous fait le même constat : nous manquons tous de professionnels de santé et notamment des médecins. Que ce soit en Allemagne ou au Canada, les mesures de coercition se sont avérées au mieux inefficaces, et très souvent contre-productives.
Le conventionnement sélectif par exemple ne résoudrait rien, car le déficit de médecins est global, il n’existe pas de territoires dans lesquels il y aurait trop de médecins. On ne peut pas répartir une pénurie de temps médical. Le conventionnement sélectif aboutirait vraisemblablement à un déconventionnement de certains médecins et donc à un non-remboursement des consultations par l’Assurance maladie, ce qui favoriserait une médecine à deux vitesses.
La stratégie « Ma Santé 2022 », dont le projet de loi fait partie, active tous les leviers : à court terme la coopération des professionnels de ville pour rendre attractif l’exercice libéral, l’emploi d’au moins 400 médecins salariés, les délégations de tâches aux pharmaciens ou aux infirmiers, la gradation des soins hospitaliers avec la réhabilitation d’hôpitaux de proximité ; à long terme, la suppression du numerus clausus permettra de former davantage de médecins.
Comment faciliter alors l’installation des médecins, notamment jeunes dans les territoires et les inciter à s’ancrer rapidement ? Est-ce qu’il est possible de faire confiance à des mesures uniquement d’incitation et est-ce que tout n’est pas déjà essayé sur ce plan ?
Nous avons dans la loi, mais aussi en dehors de la loi, beaucoup de mesures qui visent à renforcer l’attractivité. Tout n’a pas été essayé sur les mesures incitatives. Les professionnels de santé ont une responsabilité populationnelle et territoriale, c’est la raison pour laquelle les syndicats de professionnels libéraux ont signé un accord avec l’Assurance maladie pour qu’il y ait un financement pérenne pour la mise en place de communautés professionnelles de territoire. Ces communautés auront ainsi des missions obligatoires comme l’accès à un médecin traitant ou la mise en place de consultations sans rendez-vous. Par ailleurs, nous développons les terrains de stage en zones sous-denses pour les étudiants. Il y a une nouvelle dynamique qui s’est traduit par l’augmentation de +17% du nombre de médecins généralistes maîtres de stage depuis l’an dernier. Et nous irons plus loin. Nous faisons aussi beaucoup de publicité sur les contrats d’engagement de service public, qui permettent à des étudiants en médecine d’être financés à hauteur de 1 200 euros par mois pendant leurs études s’ils s’engagent de consacrer un nombre d’année équivalent à exercer dans un territoire en zone sous-dense. Ce dispositif fonctionne très bien et est plébiscité par les étudiants.
Votre texte supprime le numérus clausus et modifie l’organisation des études de médecine. Pouvez-vous détailler cette mesure ? Est-ce que cela signifie qu’il n’y a pas de solution à attendre avant 10 ans ?
La suppression du numerus clausus, et de la première année commune aux études de santé (PACES) dès 2020, était attendue par tous. Ce système va céder la place à un dispositif qui demeurera sélectif et exigeant, mais permettra de davantage recruter les étudiants sur leurs compétences et leur projet professionnel, ce qui devrait améliorer la qualité des de vie des étudiants et diminuer le coût social de cette épreuve. Pour l’entrée en étude de médecine, il y aura des passerelles et une entrée par Parcoursup à travers de laquelle avec Frédérique Vidal, la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, nous voulons favoriser la diversité des profils. Le deuxième cycle des études médicales sera également rénové, avec la suppression des épreuves classantes nationales (ECN). La procédure d’orientation prendra en compte non seulement les connaissances acquises, mais aussi les compétences cliniques et relationnelles, et sera respectueuse des projets des futurs médecins.
Si ces mesures de fond prendront du temps à porter leurs fruits, « Ma Santé 2022 » prévoit des réponses immédiates, comme celles déjà évoquées sur le fait de doter les cabinets de médecins en assistants médicaux, de transférer certaines tâches à d’autres professionnels comme la vaccination chez le pharmacien. Avec ces mesures, nous pourrions gagner 3 millions de consultations, ce qui n’est pas négligeable !
Le Tarn dispose de 3 cliniques privées, de deux CHG à Albi et Castres formant le même GHT, d’un CHG à Lavaur faisant partie d’un GHT commun avec le CHU de Toulouse, d’hôpitaux de proximité à Gaillac, Graulhet et Carmaux (régime Filieris) et d’établissements privés non lucratifs notamment sur la rééducation et la psychiatrie. Comment ces moyens, importants, se combineront au mieux demain avec la médecine de premier recours ?
J’ai pu constater que notre organisation et nos modes de financement ne valorisent pas la coopération entre les acteurs de santé. Nous sommes face à un système de soins trop cloisonné entre ville, hôpital et médico-social, entre public et privé. Notre système ne permet pas suffisamment la fluidité des parcours, la coordination entre professionnels, la qualité et la prévention. Notre stratégie s’articule donc en trois axes : offrir une meilleure qualité des prises en charge en plaçant l’usager au cœur du dispositif – en développant notamment un financement à la qualité –, permettre une offre mieux structurée pour renforcer l’accès aux soins par un maillage territorial de proximité et repenser les métiers, les modes d’exercice, les pratiques professionnelles pour être en phase avec les besoins de santé de nos concitoyens et avec les attentes des professionnels.
La loi prévoit la création de projets territoriaux de santé qui devront permettre d’articuler les initiatives de tous les acteurs des territoires : professionnels de ville, médecins hospitaliers, professionnels du secteur social ou médico-social, public ou privé. Enfin, j’ai souhaité que la loi renforce le rôle des élus dans l’offre de soins territorial.