Début du travail sur la réforme du droit d’asile

Le Président de la République a demandé au Gouvernement une réforme du droit français du droit d’asile pour tracer un difficile chemin entre humanité et principe de réalité. Je partage cette approche et en mesure les difficultés.

Même si le sujet est complexe et renvoie à des questions éthiques ou philosophiques perturbantes, il faut bien « mettre les mains dans le cambouis ».

C’est la raison pour laquelle j’ai accepté de travailler depuis quelques semaines sur le sujet du droit d’asile et à ce titre ai  participé à une délégation de la Commission des Lois qui s’est rendue à Lille puis à Bruxelles début janvier.

L’idée était de se rendre dans un centre de rétention, la région Hauts de France (l’ancien Nord Pas de Calais élargi) en comprend  deux : l’un à Lille-Lesquin que j’ai pu visiter, l’autre à Calais-Coquelles.

J’ai passé une journée à la Préfecture de région à Lille qui traite pour l’ensemble des départements les demandes de droit d’asile afin de voir le travail des services, de se faire expliquer leurs contraintes etc.

J’ai poursuivi à Bruxelles pour un entretien avec les services européens notamment la Direction Générale des Affaires Intérieures dirigée par un Allemand, Monsieur Mathias Ruete, participé à un entretien avec le cabinet du Commissaire compétent et visité l’agence européenne qui traite du droit d’asile mais plutôt sous forme d’information et d’appui (EASO) et que notre Président souhaiterait voir se transformer en une véritable agence européenne de l’asile.

Le principe de départ est clair : il est admis sur le plan international, concrétisé dans la convention de Genève, que toute personne en danger pour des motifs politiques, religieux, d’idées etc.  doit pouvoir faire l’objet d’une protection lorsqu’elle est amenée à quitter son pays. Le droit d’asile est une règle internationale qui bénéficie d’une protection constitutionnelle dans notre pays.

Pourquoi une crise de l’exercice du droit d’asile en France ?

La première raison résulte du nombre à savoir le cap des 100 000 demandeurs d’asile franchi en 2017. Les causes en sont assez diversifiées et en particulier plusieurs failles dans le dispositif dit de Dublin III (que j’évoque dans l’article parallèle intitulé une première étape sur le droit d’asile) ont accentué les difficultés.

Une deuxième difficulté tient à l’évolution de la situation des demandeurs d’asile. Nombre d’entre eux sont dans des situations qui correspondent aux définitions traditionnelles du droit d’asile à savoir par exemple le fait de se trouver en danger en Syrie, en Irak, en Erythrée… Il est  aussi exact que la majorité des migrants le sont pour des motifs économiques ne relevant pas du droit d’asile.

La France a beaucoup de mal à effectuer cette sélection afin de déterminer qui est effectivement  bénéficiaire du droit d’asile, qui ne l’est pas  et notre pays le fait avec des délais importants. Il le fait également de manière non coordonnée avec les autres pays européens (j’y reviendrai).

Le système se bloque et tout le monde en est victime. En ne traitant pas rapidement la situation de personnes qui ne relèvent pas du droit d’asile, notre pays vient décrédibiliser le système en Europe et favorise des transferts de migrants entre pays européens.

La solidité du système tient à la solidité de chacun des maillons de la chaîne. Si un pays ne fait pas fonctionner correctement son régime, il pénalise tous les autres pays. C’est très clairement le reproche qui peut être fait à la France par tous nos voisins.

Notre taux de renvoi dans les pays d’origine est l’un des plus faibles constatés en Europe, même si au regard des drames humains la notion de statistique peut paraître hors de toute convenance.

Je ne crois pas une seconde aux statistiques données dans notre pays. J’ai constaté à l’occasion de questions posées à Lille que figuraient  parmi le nombre de retour les enfants isolés que nos voisins anglais ont accepté de reprendre en raison  des liens avec des personnes déjà réfugiées au Royaume-Uni. De même les renvois d’un pays à un autre de l’Union Européenne au titre du régime de Dublin sont assimilés dans nos statistiques aux renvois hors UE.

A l’inverse, la France ne fait pas son travail vis-à-vis des personnes qui relèvent effectivement du droit d’asile et qui doivent être accueillies.

Nous sommes un pays qui réussit la performance à la fois de ne pas bien gérer les demandes de droit d’asile et qui lorsqu’il a estimé, à travers l’analyse individuelle, que la personne relevait du droit d’asile ne fait  pas l’effort d’intégration.

L’effort d’intégration des allemands est sans commune mesure au nôtre à la fois sur le plan de la formation professionnelle et sur le plan de l’acquisition de la langue.

Notre pays reste au milieu du gué, dans un « entre deux «  totalement insatisfaisant où nous ne répondons ni à l’objectif de réalisme ni à la dignité de l’accueil de celui qui a besoin d’être protégé.

Cette question n’est pas que franco-française : elle est européenne.

La protection des frontières externes de l’Union Européenne est un sujet qui a beaucoup évolué avec notamment la montée en puissance de Frontex et je relève qu’aucun pays ne veut sortir du système Schengen, même ceux qui ne font pas partie de l’Union Européenne à l’exemple de la Suisse ou de la Norvège.

Un travail considérable est à faire pour tenter de mettre fin à des crises dans les pays d’origine de la migration. C’est tout l’enjeu de la stabilisation de la Lybie, de la Syrie et de l’Irak. Des efforts considérables sont menés par notre pays sur la bande sub-sahelienne pour tenter de préserver le Mali, le Niger, le Tchad, le Cameroun mais aussi tous les pays de l’ouest africain.

C’est aussi l’enjeu du développement : quel niveau d’aide ? A quel pays ? Quelles conventions de coopération ? Quels liens avec une politique de retour volontaire ? Comment obtenir une réciprocité entre l’aide et le développement et les autorisations dites consulaires c’est-à-dire l’obligation pour le pays faisant l’objet d’une aide au développement de reprendre ces nationaux en situation irrégulière trouvés sur le sol de l’un des pays de l’Union Européenne…?

A l’heure actuelle il existe des moyens techniques au niveau européen pour la protection des frontières extérieures ou sur le règlement Dublin, par contre il n’existe pas de droit Européen de l’asile contrairement à ce que l’on dit parfois et ce tout simplement parce que ce droit  ne figure pas dans les compétences de l’Europe au sens des traités européens. C’est toujours le fameux thème de la souveraineté des États : au motif de la sacrosainte souveraineté des États, ceux-ci ont gardé des régimes nationaux du droit d’asile.

A partir du moment où chacun est libre de ses critères, de considérer un pays comme sûr ou non sûr,  de définir des quotas ou de ne pas en définir, d’accepter des relocalisations venant d’Italie ou de Grèce ou ne pas en accepter, il devient très compliqué d’avoir un traitement convergent ou homogène.

J’avoue être par avance assez sceptique sur la portée de la réforme du droit d’asile préparée par notre pays alors que j’ai constaté au cours de mes différents contacts à Bruxelles que les autres pays, ou une partie d’entre eux, sont bien décidés à ne pas faire aboutir une révision du règlement de Dublin.

Le Président de la République a raison d’insister sur le fait que les moyens de la souveraineté d’un pays ne sont pas simplement les moyens dont il dispose nationalement mais sont des moyens européens, tant le problème des frontières n’est pas propre à un seul pays, pas plus que n’est propre à un seul pays la protection des données en matière numérique ou la lutte contre le terrorisme. Les pays d’Europe sont en connexion et nous ne sortirons de ces questions qu’à partir du moment où nous serons en mesure d’avoir une politique commune du droit d’asile, une politique commune de retour, des critères convergents et une coopération mutuelle. À l’heure actuelle ces éléments ne sont pas réunis.

Sans vouloir être exhaustif nous allons de surprise en surprise quand on travaille sur ces sujets.

Par exemple une difficulté majeure pour éloigner une personne qui a fait l’objet d’un refus de droit d’asile consiste à obtenir l’autorisation du pays d’origine, ce qui suppose déjà d’identifier ce pays. Les pays qui refusent le plus de procéder à des réadmissions ne sont pas forcément les pays les plus « compliqués » ou les plus lointains. A titre d’exemple le Maroc  traditionnellement présenté comme étant un pays proche du nôtre est probablement le pays qui donne le moins d’autorisations consulaires de retour de personnes en situation irrégulière.

J’aurai l’occasion de revenir vers vous lorsque nous connaitrons dans le détail le projet du Gouvernement. Sur ce sujet comme  pour d’autres, les bons sentiments ne suffisent pas à faire les bonnes politiques.

Je ne vois pas d’autre possibilité que de faire preuve de fermeté vis-à-vis de ceux qui ne bénéficient pas ou n’auront pas vocation à bénéficier du droit d’asile et par contre de faciliter l’intégration des personnes qui sont dans la légalité.

En savoir plus sur Philippe Bonnecarrère, Député du Tarn

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture