Une cinquième prorogation de l’état d’urgence discutable

L’état d’urgence a été instauré le 14 novembre 2015 pour une durée de 3 mois.

Il a été prorogé de 3 mois supplémentaires par une loi du 19 février 2016, puis 2 mois encore par la loi du 20 mai 2016 soit jusqu’au 26 juillet 2016. Enfin la loi du 21 juillet 2016 l’a prolongé pour 6 mois supplémentaires.

Le Gouvernement a présenté une cinquième demande de prorogation avec  effet de prolonger l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017.

La seule particularité du texte est une modification concernant le régime des assignations à résidence qui doivent être limitées à 12 mois. Il s’agit d’une réserve d’interprétation qui avait été fixée dans l’avis du Conseil d’État.

Je ne vous cacherai pas ma perplexité devant cette cinquième prorogation. Celle-ci a été largement approuvée à l’Assemblée Nationale par 288 voix pour et 32 contre et le vote au Sénat a donné 306 pour et 28 contre.

Je figure parmi les rares Sénateurs ayant voté contre.

Je comprends la logique du Gouvernement insistant sur le caractère très élevé de la menace terroriste et partage l’enjeu prioritaire de la lutte contre le terrorisme.

Je comprends également l’urgence devant laquelle se trouvait le Gouvernement puisqu’une disposition mécanique entrainait la caducité de l’état d’urgence dans un délai de 2 semaines à compter de la démission d’un Gouvernement (en l’espèce celui de Monsieur Valls).

Tout en respectant le point de vue du Gouvernement et de mes collègues, je maintiens mes réserves.

Soit nous disposons de l’arsenal législatif nous permettant de lutter contre le terrorisme et la prorogation ne se justifie pas, soit nous n’en disposons pas et il est normal de recourir à l’état d’urgence.

Je considère que le travail considérable depuis 2014 de durcissement de nos dispositions de procédure pénale comme de droit pénal ont doté notre pays de toutes les armes pour lutter contre le terrorisme et le sanctionner afin de mettre hors d’état de nuire les terroristes.

J’ai eu plusieurs fois l’occasion dans cette lettre d’indiquer que nous étions arrivés au point limite d’équilibre entre les dispositifs de lutte contre le terrorisme et le respect des libertés publiques.

Nous avons donné à notre police, à notre gendarmerie, à nos services de renseignement, à notre magistrature des moyens matériels et juridiques qu’ils n’auraient probablement jamais imaginés.

Si le Gouvernement ou l’un des corps constitués de notre pays estimait que notre dispositif législatif n’était pas suffisant, il convient alors de l’exprimer et de regarder comment apporter les modifications correspondantes.

Je ne vois actuellement aucune proposition de ce type quels que soient les partis politiques.

Nous sommes devant une prorogation de l’état d’urgence qui devient une sorte de « protection politique », aucune des formations politiques de notre pays ne voulant prendre de risque. J’y vois un inconvénient majeur : si nous estimons que la levée de l’état d’urgence n’est pas possible à l’heure actuelle, elle ne le sera pas plus en juillet 2017 !

Nous nous dirigeons très clairement vers un régime dit d’exception… qui devient la règle.

En résumé, ne voyez aucune mansuétude en matière de lutte contre le terrorisme dans mon vote négatif, tout au contraire, mais l’affirmation que les régimes d’exception ne peuvent être renouvelés indéfiniment.

En savoir plus sur Philippe Bonnecarrère, Député du Tarn

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